Page:Meillet - La méthode comparative en linguistique historique, 1925.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
FORMULES GÉNÉRALES DE CHANGEMENT.

timbre plus ou moins neutre, tel qu’est celui de l’e allemand des syllabes inaccentuées ; cet e peut, suivant les cas, reposer sur une voyelle ancienne de timbre quelconque. On observe actuellement pareille altération en russe : les voyelles inaccentuées y deviennent de plus en plus indistinctes ; elles ont de moins en moins un timbre propre, tandis que les voyelles accentuées sont prononcées nettement.

Dans d’autres langues au contraire, les voyelles inaccentuées s’altèrent en fonction de leur degré d’ouverture : e et o deviennent i et u ; et les voyelles i et u s’amuïssent purement et simplement ; c’est ce qui s’est produit dans les parlers grecs modernes du Nord.

Or, en allemand, en anglais ou en russe, les syllabes accentuées sont avant tout intenses, et beaucoup plus intenses que les inaccentuées ; au contraire, en grec moderne, les voyelles des syllabes accentuées sont caractérisées surtout par leur durée : elles sont plus longues que les autres. Si les voyelles inaccentuées tendent à perdre leur timbre propre, c’est donc en vertu de l’intensité plus grande des voyelles accentuées ; si les voyelles inaccentuées tendent à se fermer, e et o en i et u, c’est en vertu de la durée plus grande des voyelles accentuées : i et u, qui sont déjà par nature des voyelles plus brèves que e et o, ne peuvent s’abréger davantage qu’en disparaissant.

Dès lors, là où l’on observe des faits comparables à ceux du type grec septentrional, il y a lieu de croire que c’est en vertu d’oppositions quantitatives. Par exemple, rien ne permet d’attribuer à l’accent arménien une intensité comparable à celle de l’accent anglais, allemand ou russe moderne : l’arménien actuel a un accent