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langues mixtes

même dans des langues à morphologie plus simple, mais comportant des caractéristiques bien définies de catégories grammaticales, le sujet parlant doit toujours parler une certaine langue ; il a le sentiment de parler ou une langue ou une autre ; et il ne saurait mêler la morphologie d’une langue à celle d’une autre. Si dégénéré que puisse être son breton, l’habitant de la région de Vannes sait s’il parle français ou breton. Car il emploie suivant les cas deux morphologies essentiellement distinctes. M. Marr a supposé que la morphologie arménienne, dont le caractère indo-européen est manifeste, comprendrait des éléments dus à une population antérieure à l’arrivée dans le pays arménien d’hommes parlant une langue indo-européenne ; mais il n’a pas réussi à démontrer cette hypothèse et il n’a, hors de son école propre, convaincu aucun des linguistes qui s’intéressent à l’histoire de l’arménien.

Pour des langues comme celles d’Extrême-Orient qui ont un minimum de morphologie, et où la phrase se fait à l’aide d’ordres de mots définis et de mots accessoires, on conçoit mieux que le sujet parlant emprunte des procédés à deux langues. On se représente aisément qu’un Annamite puisse mêler à son parler propre des traits du chinois. La juxtaposition de deux langues de cette sorte est relativement aisée. Et ce n’est peut-être pas un hasard qu’il soit difficile, en Extrême-Orient, de reconnaître et d’établir des parentés de langues.

En fait il ne s’est pas rencontré jusqu’ici de cas où l’on ait été conduit à poser que le système morphologique d’une langue donnée résulte d’un mélange des morphologies de deux langues distinctes. Dans tous les cas observés jusqu’à présent, il y a une tradition continue