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le substrat

voyelles est plus haute dans le Midi de la France que dans le Nord ; les timbres vocaliques employés sont autres ; les voyelles nasales sont autrement articulées ; les e muets, dont la répartition en français est chose délicate et subtile, sont placés de manière incorrecte ; bref, l’ensemble de la prononciation diffère. La grammaire même comporte des différences : le prétérit simple, dont la langue écrite a maintenu l’emploi, mais qui n’existe plus dans le français parlé de la région parisienne, est fréquent chez les méridionaux parlant français. Ainsi, même dans un cas où, comme en français, il y a un type unique d’enseignement de la langue, une influence puriste puissante et un usage fixé avec une rigueur nulle part dépassée, rarement égalée, la généralisation de la langue ne va pas sans une forte adaptation aux habitudes locales. En se généralisant, le français se brise en français régionaux, et le modèle parisien n’est exactement reproduit dans aucune province. Si ces français régionaux n’ont jamais été décrits avec précision, ils n’en existent pas moins. Comme on dit, l’influence du « substrat local » se fait sentir, et, pour autant qu’on peut observer l’extension des langues générales, cette influence paraît inévitable.

Sans doute l’action de l’école et de la langue écrite et le désir qu’ont les sujets de parler correctement tendent à unifier la forme de la langue générale ; mais cette unification ne saurait être parfaite. La norme de la langue peut être la même partout ; mais elle ne se réalise pas de même partout.


Sans doute même y a-t-il quelque chose de plus profond : des expériences indiquent que, si les caractères