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langues mixtes

une langue générale différente, se réduit à des usages locaux et inférieurs. Dès lors, elle se charge d’éléments empruntés à la langue générale. C’est ainsi que, dans l’Armorique française, le breton s’emplit de mots et de tours français. Il peut être parlé avec négligence et perdre quelques-unes de ses particularités les plus caractéristiques. Par exemple, le breton de la région de Vannes s’est beaucoup détérioré. Une langue réduite à des usages locaux tend à perdre une partie de plus en plus grande de ses éléments. En général, ceci importe peu pour l’histoire de la langue ; car un idiome aussi dégradé finit par s’éliminer tout à fait.

L’usage de la langue générale, plus commode, et qui classe le sujet parmi les gens cultivés, se répand de plus en plus. Mais les gens qui passent ainsi à la langue générale ne sauraient la parler exactement comme ceux pour qui elle est traditionnelle. Outre des termes locaux désignant des animaux, des plantes, des usages, des formes de pays pour lesquels la langue générale n’a pas de mots aussi précis, il subsiste chez les sujets qui sont passés à une langue nouvelle des manières anciennes de s’exprimer ; la prononciation n’est d’ordinaire pas reproduite d’une manière parfaite.

Qu’on observe, par exemple, ce qui se passe en France. Bien que les parlers du Nord et du Midi soient également gallo-romans, ils diffèrent assez pour qu’on ne se comprenne absolument pas, avec le parler local, d’une région à l’autre. Quand les méridionaux emploient le français général, qui, pour les habitants des villes, est souvent aujourd’hui la seule langue qu’ils connaissent, ils le prononcent d’une manière spéciale, et qui d’ailleurs diffère d’une région à une autre. La caractéristique des