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langues mixtes

autres, continuent tous cette langue commune. Et c’est à peine si l’on entrevoit sur un point quelque menue survivance des parlers locaux du grec antérieurs à la généralisation de la langue commune.

Mais cette généralisation ne va pas sans des réactions qui modifient la langue générale. Le grec qui s’est généralisé n’est pas du pur attique. Les traits qui se sont répandus partout sont surtout ceux qui étaient communs à l’attique et à l’ionien et, en outre, quelques particularités propres à l’attique. Mais d’autres particularités trop spéciales à l’attique n’ont pas été acceptées. Par exemple on a préféré ss à la prononciation tt des formes correspondantes de l’attique, et l’on a dit melissa « abeille », comme en ionien et dans la plupart des parlers, non pas melitta, qui était la forme d’Athènes. Comme, avec le temps, Athènes s’est conformée aussi à l’usage commun, des particularités attiques ont disparu. Ainsi « aucun » était arrivé au ive siècle av. J.-C. à se dire uthēs à Athènes ; cette forme attique n’a pas prévalu, et la vieille forme udēs, qui avait subsisté hors d’Athènes, a fini par revenir à Athènes. Le grec moderne, pour dire « non », a en conséquence δen, qui est l’ancien neutre udén « rien ». Le grec commun ne continue donc pas purement un seul parler ; il comprend des éléments appartenant à des parlers voisins les uns des autres, mais distincts.

Même le français général, qui est la langue de Paris, n’est pas sans subir des influences provinciales, malgré le purisme qui prévaut en France.

Ainsi une langue générale est plus ou moins une langue mixte, par la manière dont elle se constitue et par la complexité des éléments qui y entrent.