Page:Meillet - La méthode comparative en linguistique historique, 1925.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
extension d’une langue générale

est un peu plus difficile à franciser ; il ne suffit pas de le prononcer lavwa : il faut ajouter r (fr. lavoir) ; aussi y a-t-il chance que lavwé survive quelque temps ; mais tout le monde finit par dire lavoir, à la manière française. Ce qui survit le plus, ce sont certains usages grammaticaux fixés dans la mémoire et dont on prend à peine conscience, comme il a été indiqué ci-dessus, p. 26. Ces usages s’éliminent à leur tour, et ainsi, morceau par morceau, le parler local est remplacé par le français général. Ce mouvement se produit maintenant d’une manière rapide, plus vite dans certaines régions que dans d’autres : le français général élimine plus le parler local dans le centre de la France qu’en Picardie par exemple. Mais le mouvement a lieu partout, et dès maintenant on entrevoit le moment où, dans la France du Nord, toute étude des parlers locaux sera devenue impossible, parce que ces parlers seront sortis de l’usage. Or, ils étaient encore usuels partout dans les villages à la fin du xviiie siècle ; et, encore dans la première partie du xixe siècle, la façon de parler dans tous les villages de France conservait au moins des restes considérables du type local.

Le fait français n’est pas une nouveauté dans l’histoire. Au ve siècle av. J.-C., presque chaque localité grecque avait son parler propre. À partir de cette époque, l’action de la langue générale, de plus en plus forte, élimine les unes après les autres les particularités locales, et une langue commune, fondée sur l’usage attique, se répand sur toute la Grèce. Malgré des réactions multiples, cette langue s’est imposée partout, et, dès l’époque impériale, on voit que l’emploi en était devenu à peu près universel sur le domaine hellénique. Les parlers grecs modernes, qui ont de nouveau divergé les uns d’avec les