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la période intermédiaire

aleō « je mouds » en grec, alam en arménien, et cette racine a laissé des traces nettes aussi en indo-iranien. On voit donc que l’idée de « moudre » s’exprime de façons différentes sur deux domaines continus de l’indo-européen.

Quant à la racine *melə- qui signifie « moudre », du slave à l’italique, elle n’est pas inconnue aux autres langues ; mais elle s’y trouve au sens plus général d’ « écraser, broyer », ainsi dans mṛṇā́ti « il écrase » du sanskrit, dans malem « je broie » de l’arménien ou dans des verbes du grec populaire tels que myllō ou la forme à redoublement moimyllō, qui se lit chez des auteurs ioniens populaires. Et la concurrence entre la racine *melə- et celle du grec aleō ressort du fait que, de même que le latin a mola « meule » à côté de molō « je mouds », le grec qui a perdu le nom de l’ancienne meule à bras (conservé depuis l’Inde jusqu’au monde celtique), a formé mylē « meule », de la racine signifiant « écraser ». La répartition géographique des mots laisse entrevoir toute une histoire, malgré la misère des données.

Du rapprochement des cartes ressort souvent l’explication de faits surprenants. Ainsi, il y a au Sud de la France une région où le représentant attendu du nom gallu(m) du « coq » a disparu. Dans cette petite région, on désigne le « coq » par des noms bizarres qui traduisent un embarras où s’est trouvée la langue : le « coq » est nommé par exemple « faisan » ou « vicaire ». Mais si l’on rapproche d’autres cartes, on voit que, dans cette région, c’est -tt- qui répond à -ll- du latin : le nom *gat du « coq » se confondait dès lors avec le nom gat du « chat », ancien *gattu(m), qui a donné aussi gatto de l’italien. Il serait incommode de désigner par le même