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la géographie linguistique

singulièrement séduisante, une adaptation d’un composé mouche-é(p) auquel on aurait recouru pour se tirer de l’embarras causé par la trop grande réduction de apem dans la France du Nord ; pareil composé a pu d’ailleurs n’exister que virtuellement, et mouchette a pu s’y substituer de manière immédiate car, au moment où se produisent les changements de ce genre, phonétiques ou morphologiques, les innovations tendent à se régler aussitôt d’après le système existant et à prendre place parmi les formes déjà constituées. Le Midi, qui avait apicula, élargi dès l’époque romane, tout comme ouis a été élargi en ouicula (fr. ouaille), n’a pas connu pareille difficulté et a fourni abeille à la région parisienne. À l’indication schématique qu’on avait sur l’origine de fr. abeille se substitue une histoire complexe et où apparaît la réalité.

En s’inspirant de ces résultats, on interprétera mieux les faits là même où l’on dispose de données moindres et moins aisément comparables. Bien souvent il suffit de disposer les faits géographiquement pour en comprendre l’histoire.

Soit, par exemple, en indo-européen la notion de « moudre ». Il y a un présent du type *meləmi ou *moləmi « je mouds » qui est conservé indirectement en slave, en baltique, en germanique, en celtique et en italique et dont on a pu restituer ci-dessus la forme ancienne (v. p. 28). Or, ce verbe ne se retrouve ni en indo-iranien, ni en arménien ni en grec : ce n’est pas un accident, et ce n’est pas que les peuples qui parlaient ces langues aient ignoré la mouture. Car des noms de céréales figurent justement dans ces langues ; on y a (sauf en indo-iranien) la racine signifiant « labourer ». Mais c’est qu’il y a une autre racine pour signifier « moudre » :