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la période intermédiaire

Ce n’est pas la Loire qui est une limite ; c’est un groupe de hauteurs, en effet pénible à traverser et que les routes contournent nécessairement. Le type français du Nord va beaucoup plus au Sud, à la fois à l’Ouest, où il atteint Bordeaux, et à l’Est, où il va au Sud de Lyon. Ici la limite des dialectes s’explique par un fait d’ordre géographique, qui a conditionné des actions historiques.


En second lieu, grâce à la grande multiplicité des faits observés, la période intermédiaire entre la langue commune et les langues ultérieures s’éclaire. C’est le nom de l’abeille que M. Gilliéron a choisi pour illustrer, d’une manière particulièrement approfondie, les résultats de la méthode géographique. On savait, par la considération des règles de correspondance phonétique, que le mot français abeille ne peut passer pour indigène dans la France du Nord et qu’il est emprunté à des parlers méridionaux. Mais ce fait brut ne révélerait pas l’histoire du mot abeille en français. Il a suffi d’examiner la carte où sont pointés les noms de l’ « abeille » pour apercevoir que ces noms varient suivant les régions du Nord de la France : ici abeille, terme venu du Midi ; là mouche à miel, là mouchette, là avette. Cette variété, pour un insecte utilisé partout depuis l’époque romaine, montre que le nom ancien a disparu ; or, les cartes révèlent, sur quelques points, un nom éliminé : c’est é, c’est-à-dire la forme que le latin apem a prise normalement dans la France du Nord. Trop bref, ce nom a été presque partout éliminé pour être remplacé par des noms nouveaux qui marquent l’embarras où se sont trouvés les sujets parlants. Dans le mot mouchette, M. Gilliéron trouve, par une hypothèse hardie et qui a été contestée mais qui est