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les parlers locaux

manifestement les forces de travail et les ressources matérielles dont disposent les linguistes. Qu’on la suppose accomplie, le linguiste serait accablé par la masse de ces données qu’il ne saurait manier. Il y aurait d’ailleurs des répétitions infinies : bien que chaque localité ait ses particularités propres, les mêmes faits et types de faits se rencontrent sur des domaines étendus.

Autre difficulté : les données recueillies par des observateurs divers ne sont pas exactement comparables entre elles. Si l’enquête n’a pas été organisée, faite suivant des règles uniques pour toute la région étudiée, chaque monographie se présente d’une manière diverse, et les faits qu’on rencontre dans l’une ne se laissent pas comparer immédiatement à ceux d’une autre. Même dans le cas favorable — et rare — où l’enquête a été organisée et où les monographies sont faites sur un modèle unique, les observateurs n’ont pu ni observer ni noter tout à fait de la même manière. Il est de plus inévitable qu’on trouve des enquêteurs pour certaines régions plus que pour d’autres. Et la densité des observations n’est pas comparable.

Enfin les parlers n’ont pas l’unité qu’on a été porté à leur attribuer a priori. Les sujets d’un même village, même petit, offrent souvent des manières de parler diverses suivant l’âge, la condition sociale, les occupations, etc. Tous les sujets ne sont pas indigènes ; tous ne sont pas également fidèles à l’usage local. Si une monographie d’un parler local tient compte de ces différences individuelles, elle devient compliquée, et il est malaisé d’en tirer parti pour la comparaison. Si elle les néglige, elle ne donne pas une idée juste de l’état du parler ; elle simplifie arbitrairement ; elle schématise plutôt qu’elle ne décrit.