Page:Meillet - La méthode comparative en linguistique historique, 1925.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
les dialectes

avec d’anciennes limites administratives, on a parfois supposé que les divisions politiques du pays conditionnent les divisions linguistiques. Mais si le pays a été ainsi divisé, c’est en conséquence des relations établies entre les hommes ; et si les divisions administratives des Romains ont été maintenues en gros par l’église chrétienne, c’est qu’elles répondaient en effet à des besoins naturels. Ce sont sans doute ces relations qui rendent compte des ressemblances de parler. Il y a coïncidence, et non cause.

Il faut tenir compte d’un autre type de faits. Dans le monde moderne, et depuis longtemps, il y a des centres d’où la civilisation se répand sur toute une région. En France, les centres provinciaux n’ont qu’une importance secondaire, et l’influence de Paris a dominé de bonne heure. En Italie, au contraire, il y a plusieurs centres provinciaux puissants. L’importance économique et politique de Venise est pour beaucoup dans la constitution d’un dialecte vénitien.


L’existence de dialectes a des conséquences importantes pour le comparatiste ; mais ces conséquences diffèrent suivant la manière dont les dialectes se sont établis.

Parfois la langue commune était une autant qu’une langue peut l’être. C’est, pour les langues romanes, le cas du « roman commun » qui est le parler courant d’une ville unique, Rome. Tout au plus y a-t-il à tenir compte, suivant l’hypothèse de Gröber, de la date où le latin a été porté à la région où il s’est étendu : le sarde aurait gardé la distinction de i bref et de ē long, de u bref et de ō long, parce que, à la date où la Sardaigne a été