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les dialectes

enfin sont de simples faits de vocabulaire, ainsi ktēsis : (p)pāsis. Ces diversités n’empêchaient pas les Grecs de sentir qu’ils avaient tous une même langue dans l’ensemble. Ce qui caractérise d’abord le « dialecte », c’est donc la diversité dans l’unité, l’unité dans la diversité.

Le « dialecte » même n’est pas un. Les Grecs distinguaient trois grands dialectes : ionien, éolien et dorien, auxquels les linguistes actuels ajoutent un quatrième, l’achéen (arcado-cypriote). Mais un texte donné n’est pas écrit en un dialecte ; il y a seulement des formes diverses de chaque dialecte. Par exemple, il n’y a pas un parler dorien : il y a le corinthien (avec le syracusain), l’argien, le laconien, le crétois, le rhodien, etc. Et encore ces types généraux admettent des variétés : il n’y a pas un parler crétois, et l’on observe des différences appréciables d’une localité de la Crète à une autre. Un « dialecte » est un ensemble de parlers divers présentant des caractères communs et plus semblables entre eux qu’ils ne sont aux autres parlers de la même langue.

Troisième point : les dialectes n’embrassent pas nécessairement tous les parlers d’une langue. Ainsi, en grec, le parler de tous le plus connu, l’attique, offre avec l’ionien des particularités communes, mais il ne fait pas partie proprement du dialecte ionien, et, moins encore, d’aucun autre. Les parlers de l’Élide, de la Locride, de la Phocide sont, à bien des égards, proches du dorien ; mais ils ne sont pas proprement doriens. Les parlers d’une langue ne se laissent donc pas toujours grouper tous en dialectes définis.

Ainsi la notion de dialecte est fuyante. Elle l’est d’autant plus qu’elle résulte de conditions historiques diverses.