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complexité des développements

Ainsi, avant l’époque historique, le grec a donné à chaque verbe un futur ; puis, à l’époque byzantine, il a éliminé ce futur, et l’a remplacé par quelque chose de tout nouveau.

Le grec avait hérité d’un type de parfaits : avant et pendant l’époque historique, il en a élargi l’emploi, multiplié les formes ; il a créé des procédés grâce auxquels presque chaque verbe a pu recevoir un parfait. À l’époque attique, le parfait était une forme essentielle et couramment employée du verbe. Puis l’usage en a disparu, et le grec moderne n’a plus aucune forme personnelle du parfait.

Si donc on ne connaissait le grec, comme on connaît le slave, qu’à partir du ixe siècle ap. J.-C., le linguiste ne soupçonnerait même pas que, avant d’arriver à l’état actuel du verbe à deux thèmes, le grec a traversé une époque où un futur et un parfait ont eu un riche développement, qu’il y a eu des créations multiples, des formes faites et refaites à plusieurs reprises : de tout ce développement, le linguiste qui ne verrait que l’aboutissement final n’aurait aucune idée.

Or, la plupart des langues indo-européennes sont connues seulement après le début de l’ère chrétienne, en un temps où sont achevés ces développements complexes que des données positives permettent d’observer en grec, et où, par suite, le linguiste ignore ce qui s’est passé réellement.

Dès lors, il serait vain de prétendre expliquer à coup sûr toutes les formes nouvelles qui se sont constituées entre l’époque de communauté et les époques historiques. On ne doit pas être surpris que la linguistique puisse faire seulement des hypothèses incertaines et fragiles sur