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développements parallèles

pour le remarquable Grundriss de Brugmann. Or, rien n’est moins conforme à la réalité.

Soit par exemple la caractéristique -m de la 1re personne du singulier des verbes dans les langues slaves ; cette caractéristique se trouve dans une notable partie de la conjugaison dans la plupart des langues slaves modernes, et même dans tous les présents normaux en serbo-croate. Or, en slave commun, elle était propre à quatre ou cinq verbes anomaux. Ce n’est qu’au cours du moyen âge, à date historique, que l’innovation a eu lieu, en tchèque et en serbo-croate notamment. À cette date, les langues slaves étaient séparées depuis longtemps, et c’est de manière indépendante que chacune a réalisé l’innovation, dont, au surplus, les limites varient d’une langue à l’autre.

Des faits pareils s’observent ailleurs pour la même 1re personne du singulier : l’arménien a aussi généralisé une forme caractérisée par -m. Ici, on n’a que l’aboutissement du procès, et le détail des faits par lesquels l’arménien y est parvenu échappe. — Dans l’Inde et dans l’Iran, il y a eu la même innovation, et il se faut de peu qu’on ignore tout de la manière dont elle s’est produite. Par bonheur, on possède une petite série de vieux textes iraniens, les gāthā de l’Avesta, où la généralisation de la désinence -mi n’est pas faite ; on voit par là que quoique le sanskrit ait pour dire « je porte », une forme bhárāmi et l’Avesta récent une forme barāmi, l’addition de -mi est postérieure à la période de communauté indo-iranienne (aryenne) : car les gāthā de l’Avesta ont encore le type barā.

Les concordances entre les formes historiquement attestées proviennent, beaucoup plus qu’on ne l’imagine