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l’époque intermédiaire

y a, pour les innovations, une longue période de préparation. La réalisation du changement ne fait dans bien des cas que manifester l’aboutissement d’un long travail.

Un des principaux faits auxquels est dû le passage du type indo-européen ancien au type moderne des langues de la famille est la perte de l’accent, de hauteur et du rythme quantitatif. Dans le type ancien, dont les textes védiques et grecs classiques donnent encore une idée nette, le « ton » consistait en une élévation de la voix et ne servait pas de sommet rythmique au mot ; il jouait un rôle sémantique analogue à celui que jouent les tons, c’est-à-dire les montées et descentes de la voix, dans les parlers chinois ou soudanais. Le rythme reposait tout entier sur l’alternance de syllabes longues et de syllabes brèves. La comparaison des diverses langues montre que ce type a été indo-européen commun. Ce type phonique s’est éliminé partout, et notamment en grec et en latin à l’époque impériale. Le rythme a cessé d’être fondé sur l’alternance des syllabes brèves et des syllabes longues ; une partie des longues se sont abrégées, ou même toutes les voyelles ont perdu les oppositions de quantité brève et longue. Et l’ancien ton est devenu le centre du mot, le sommet rythmique. Dès lors, le mot est « centré » autrement qu’il ne l’était, et toute la prononciation change de caractère. Quand cette transformation s’achève, l’ancienne syllabe tonique acquiert une importance particulière, tandis que les autres éléments du mot deviennent relativement secondaires. Dans les langues romanes, on sait que le traitement de la syllabe accentuée diffère fondamentalement de celui des autres syllabes du mot. Le changement, à peu près réalisé dès le ixe siècle, de lat. caballum en fr. cheval est spécifiquement français ; mais