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périodes de préparation

les langues romanes présentaient déjà leurs traits essentiels ; et même, dès le vie siècle, la façon dont les écrivains de l’époque mérovingienne écrivent le latin indique souvent que les principaux changements étaient réalisés ou près de l’être. De même le changement assez profond qui, de l’arménien ancien, a fait l’arménien moderne s’est réalisé entre le ve siècle au plus tôt et le xe au plus tard ; depuis lors il n’y a plus eu en arménien de changement aussi profond. Au vie siècle av. J.-C., le perse avait encore un aspect archaïque ; au ier siècle de notre ère, il avait déjà un aspect moderne, et il n’a subi depuis lors aucun changement dont l’importance soit comparable.

Le temps n’est donc que l’une des conditions d’où dépend l’importance des changements. Ni un bon état de conservation de l’usage ancien ne prouve que le temps écoulé depuis la rupture de la communauté initiale soit bref, ni un renouvellement étendu des formes ne suppose un long intervalle de temps. Et, comme les faits linguistiques ne fournissent pas d’autre indice, on ne saurait le plus souvent rien dire, même approximativement, du temps qu’ont pu demander les innovations.

Le degré de nouveauté d’une langue par rapport à la « langue commune » n’est pas reconnaissable par la date : parmi les langues sémitiques, il y en a deux qui ont conservé la déclinaison. Or, l’une de ces deux est l’akkadien du début du second millénaire avant le Christ, l’autre est l’arabe du viie siècle ap. J.-C. Dans des langues attestées bien avant l’arabe, comme l’hébreu ou l’araméen, il n’y a plus la déclinaison des noms.


S’il y a des moments où le changement linguistique semble se précipiter, cela tient pour beaucoup à ce qu’il