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l’époque intermédiaire

La considération des faits linguistiques ne suffit pas à fournir même un commencement de chronologie. Car la rapidité des changements linguistiques varie dans une mesure étendue. Certaines langues peuvent demeurer de longs siècles presque sans changer : connus depuis le xiie siècle, les parlers turcs ont gardé depuis lors les mêmes traits essentiels, si bien que, quoique séparés les uns des autres depuis un millier d’années parfois, ils continuent d’être très pareils les uns aux autres. De l’histoire des parlers polynésiens, on sait peu de chose ; mais ce qui est frappant, c’est que, malgré les grandes distances qui séparent les unes des autres les îles de la Polynésie, ces parlers sont demeurés presque identiques les uns aux autres. Les cas de ce genre ne sont pas rares : les langues de peuples peu civilisés ont souvent une grande stabilité.

La rapidité de renouvellement qu’on prête parfois aux langues de demi-civilisés s’explique, en partie au moins, par des usages relatifs au vocabulaire. Il arrive souvent que, chez les demi-civilisés, des mots soient frappés d’interdiction ; par exemple à la suite de la mort d’un individu, le mot qui figure dans son nom est souvent interdit. Dès lors, le voyageur qui a connu un vocabulaire donné, peut, s’il revient quelques années après, en trouver un autre différent sur bien des points. M. Thalbitzer a fait connaître, récemment, un cas de ce genre chez des Eskimo. Mais il ne résulte pas de là que le fonds de la langue change pour autant.

Ailleurs, au contraire, on trouve des changements rapides du système linguistique. Au iiie, et même au ve siècle ap. J.-C., le latin avait encore sans doute beaucoup de son caractère ancien, surtout à première vue. Au ixe siècle,