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vocabulaire

mot, il est le plus souvent vain d’essayer d’en donner une véritable étymologie.


Qu’il s’agisse de morphologie, de phonétique ou de vocabulaire, le principe qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que les rapprochements valent seulement dans la mesure où ils sont soumis à des règles strictes. Plus le linguiste se donne de liberté, plus ses rapprochements comportent d’arbitraire, et plus ses démonstrations sont précaires. Par exemple, le linguiste qui interprète des noms propres d’un pays par des rapprochements avec un idiome supposé parent de celui qui avant un changement de langue se parlait dans ce pays joue un jeu dangereux. Si l’on est sûr de la langue qui se parlait anciennement et si l’on connaît bien des langues toutes proches de celle-ci, quelques explications de ce genre sont sûres : une localité gallo-romaine nommée Brīua (Brive) a certainement un nom gaulois parce qu’elle est en un point où un pont a dû toujours exister, que les langues celtiques conservées supposent un nom brīwā du « pont » et que le latin a pris la place du gaulois, langue sûrement celtique, dans le pays où est Brive. Mais il est risqué d’expliquer par un rapprochement avec des langues caucasiques tel nom de localité grecque, dans un cas où rien n’avertit des sons que doit avoir étymologiquement le nom propre envisagé, où les langues rapprochées ont une forme non identique et où aucune donnée historique ne prouve qu’il ait été parlé une langue prochement apparentée aux langues caucasiques. D’une manière générale, les étymologies de noms propres sont incertaines parce que, des deux données dont la concordance avec des faits d’autres langues établit la valeur, le sens