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vocabulaire

Aussi les linguistes qui opèrent avec de petits éléments radicaux et qui même souvent analysent les racines pour ne plus rapprocher que des fragments de racines ruinent d’avance par là la démonstration qu’ils cherchent. Un rapprochement de mots complets ayant quelque étendue peut être sûr. Un rapprochement qui porte seulement sur une ou même deux consonnes radicales est sans valeur s’il n’est pas appuyé par des faits tout particuliers.

La concordance de sens doit être aussi exacte, aussi précise que la concordance de forme phonique (suivant les règles de correspondance). Ceci ne veut pas dire que les sens doivent coïncider plus que le phonétisme ; seulement les divergences des sens, s’il y en a, doivent s’expliquer, non par des possibilités vagues et générales, mais par des circonstances particulières. Le fait que le fr. ouaille repose sur lat. ouicula n’est pas rendu douteux par le fait que, dans le français actuel, ce mot désigne seulement le fidèle du prêtre de telle ou telle église. Mais le rapprochement se justifie parce qu’on sait que les fidèles d’une église chrétienne sont couramment comparés à un troupeau que fait paître le pasteur de cette église. Dans les parlers locaux français, le mot ouaille se trouve du reste au sens de « brebis », ce qui achève de démontrer la correction de l’étymologie.

En matière d’étymologie indo-européenne, le fait que les mots ont des flexions variées fournit des confirmations décisives. Soit, par exemple, le mot qui signifie « mouton » (mâle ou femelle : l’indo-européen n’a pas de noms distincts pour les animaux suivant le sexe) : sanskrit áviḥ, grec óis (ainsi chez Homère), lat. ouis, lituanien avis ; la concordance de sens et de forme entre toutes ces langues est parfaite ; et, comme on arrive à restituer