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des preuves employées

risques d’erreur sont grands, il est nécessaire de s’assurer, par des précisions, que les concordances observées ne sont pas fortuites.

Le premier point, sur lequel on est d’accord en fait sinon en principe, c’est qu’une étymologie est valable seulement si les règles de correspondance phonétique sont appliquées d’une manière exacte, ou, au cas où une divergence est admise, si cette divergence est expliquée par des circonstances particulières rigoureusement définies.

Il va de soi que la concordance risque d’autant moins d’être fortuite que le nombre des éléments phoniques qui se correspondent est plus grand.

Le hasard ne peut évidemment pas faire que « veuve » se dise vidhávā en sanskrit, vĭdova en slave, widdewū en vieux prussien, widuwo en gotique, fedb en irlandais, uidua en latin, étant donné que, par exemple, f de l’irlandais et u- (consonne) du latin répondent au v initial du sanskrit. La concordance de w, de i, de dh et de u, dans cet ordre, ne saurait être accidentelle. Entre les formes sanskrite, slave, prussienne, d’une part, et les formes germanique, irlandaise et sans doute latine, de l’autre, il y a, il est vrai, une différence : la présence d’une voyelle e (ou o) entre dh et w dans la première langue et l’absence de cette voyelle dans les autres ; cette différence ne fait pas difficulté ; car elle relève des alternances vocaliques connues de l’indo-européen.

Mais si, au lieu de comparer ainsi quatre éléments phoniques se correspondant exactement, on n’en compare que trois, la preuve est moins forte, pour devenir fragile si l’on dispose seulement de deux éléments concordants, et à peu près nulle si l’on dispose d’un seul.