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des preuves employées

au sens de lat. genitor, presque au sens de « mâle » : on dit d’un lapin mâle que c’est un père. Ainsi fr. père continue un mot indo-européen, mais avec une valeur si différente de la valeur indo-européenne que c’est en réalité un mot nouveau.

Malgré cette instabilité fréquente du vocabulaire, ce sont les concordances de vocabulaire qui frappent d’abord quand on rapproche des langues entre elles. Souvent même on ne dispose que du vocabulaire, soit que les langues envisagées soient mal connues et qu’on n’ait de témoignages que sur le vocabulaire, soit qu’il s’agisse de langues à grammaire très simple, comme en Extrême-Orient, soit que les morphologies qui ont subsisté se soient constituées trop tard, après la période de communauté supposée. Il importe donc beaucoup d’examiner comment peut se prouver une concordance de vocabulaire.

Il a été noté déjà que les rapprochements étymologiques valables ne se font jamais d’après des ressemblances de forme phonétique, mais seulement d’après des règles de correspondances : si l’on peut rapprocher arm. erku de russe dva, ce n’est pas que les deux formes se ressemblent : les formes phonétiques n’ont rien de commun ; c’est que les règles de correspondances permettent le rapprochement, ō de l’indo-européen aboutissant à a en slave, à u en arménien, et duw- de l’indo-européen aboutissant à dv- en russe, erk- en arménien.

Pour autant qu’elles ne s’expliquent pas par des conditions propres à tel ou tel mot, les irrégularités dans les correspondances dénoncent soit un emprunt à d’autres langues soit une étymologie à écarter. Un ancien ca- du latin est représenté en français par cha-, che-, chè-, ainsi dans campum donnant champ, carrum donnant char,