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des preuves employées

par des innovations divergentes. Ainsi l’indo-européen avait un certain type de flexion verbale de forme compliquée qui a tendu à s’éliminer partout ; on en reconnaît la présence ancienne à des innovations qui sont diverses suivant les langues. Par exemple il y avait un présent de la forme *eiti « il va », *y-enti ou *iy-enti, *y-onti ou *iy-onti « ils vont » ; le sanskrit le garde sous la forme éti, yánti ; le grec attique l’a, un peu plus altéré, dans eisi, iāsi ; le latin, avec plus d’altération encore, dans it, eunt ; le vieux lituanien a le singulier eiti ; mais ces formes étaient trop singulières : le lituanien moderne a remplacé eiti par une formation de type nouveau, régulière en lituanien, eina ; le slave a, dès le ixe siècle après J.-C., dans la langue des anciens traducteurs, idetŭ « il va », idǫtŭ « ils vont ». Les formes nouvelles du lituanien, einu « je vais », et du slave, idǫ, réfléchissent à leur manière la forme ancienne qui s’est éliminée.

Dans l’exemple cité, la forme ancienne est conservée par certaines langues, et l’on s’explique aisément l’innovation de certaines autres. Mais il arrive que la forme ancienne ne soit conservée nulle part, et ce n’est que l’absence de concordance de détail des formes rapprochées qui laisse supposer une forme singulière éliminée par la suite. Il a dû y avoir en indo-européen un présent de la forme *meləti et *moləti « il moud » avec une 3e personne du pluriel *m°lenti et *m°lenti. Cette flexion difficile à manier s’est éliminée partout. On en reconnaît néanmoins l’existence ancienne à ce que le slave a meljetŭ, le lituanien malu et le gotique maliþ, l’irlandais melid et les langues brittoniques toutes voisines une forme à vocalisme différent mal-, etc. Nulle part, les formes indo-européennes supposées ici ne sont conser-