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des preuves employées

Les faits singuliers de cette sorte sont souvent stables. La prononciation peut se transformer, le vocabulaire peut changer, alors que ces traits demeurent. Ainsi, dans les parlers actuels de la France du Nord, les formes locales des mots se modifient pour être conformées aux formes françaises, le vocabulaire se renouvelle, et l’on tend en général à parler suivant l’usage français commun. Ce qui subsiste en dernier lieu, ce sont des particularités locales de la morphologie, ainsi la marque du masculin et du féminin par i dit, a dit, là où le français commun a il dit, elle dit. Les faits particuliers de cette sorte sont appris dès l’enfance, ils deviennent des habitudes dont on ne prend pas conscience, et ils sont susceptibles de demeurer alors que tout le reste se modifie.

Dès lors une langue à morphologie touffue et complexe, comprenant un grand nombre de faits particuliers, se prête bien à la démonstration des parentés, tandis qu’une langue à morphologie simple, opérant surtout avec des procédés généraux tels que l’ordre des mots, rend malaisée la découverte de preuves valables. On n’a presque pas besoin de démontrer qu’une langue est indo-européenne : partout où l’on a trouvé une langue indo-européenne encore inconnue, le « tokharien » ou le « hittite » dans les derniers temps, le caractère indo-européen s’en est révélé dès le début du déchiffrement et de l’interprétation. Au contraire, les langues d’Extrême-Orient qui, comme le chinois ou l’annamite, n’offrent presque pas de particularités morphologiques, n’ont par là même rien où puisse se prendre le linguiste qui essaie de trouver des langues parentes aux parlers chinois ou aux parlers annamites ; et la restitution d’une « langue commune » dont le chinois, le tibétain, etc.