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morphologie

Ce n’est donc pas avec de pareils traits généraux de structure, sujets à changer du tout au tout en l’espace de quelques siècles, et du reste comportant seulement des variations peu nombreuses, qu’on peut établir des parentés de langue. Qui comparerait le latin où l’on a liber Petri ou Petri liber (les deux ordres sont possibles), c’est-à-dire où le rapport entre « Pierre » et « livre » est marqué par la forme Petri du nom dont le cas sujet est Petrus, le cas complément direct Petrum, etc., avec des variations de la fin du mot, et le français, où le rapport entre le nom et son complément est indiqué par la particule préposée de et par la place de de Pierre ne trouverait entre les procédés employés par les deux langues aucun trait commun.

Ce qui est probant pour établir la continuité entre une « langue commune » et une langue ultérieure, ce sont les procédés particuliers d’expression de la morphologie. Par exemple, il n’est pas rare que le rapport de dépendance entre deux substantifs soit exprimé par une particule soit préposée, comme fr. de, soit postposée comme angl. -s. Mais le fait que cette particule est de la forme de ou de la forme -s est caractéristique ; car n’importe quel autre phonème pourrait aussi bien indiquer le rapport, si la tradition n’en avait décidé autrement. Dès lors le fait que le rapport est marqué par de préposé au complément est un caractère distinctif d’un parler français, et le fait que le rapport est marqué par -s postposé au complément un caractère distinctif d’un parler anglais. — Il faut ajouter que l’emploi de de peut disparaître d’un parler français ou celui de -s d’un parler anglais sans que, pour cela, ces parlers cessent d’être français ou anglais. Seuls, les faits positifs ont une valeur probante.