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des preuves employées

la différence entre aime et aimez, j’aimais et nous aimions est caractéristique, et plus encore celle entre je veux, nous voulons, je voudrais, j’ai voulu, etc. Toutefois la structure générale du français actuel diffère absolument de celle qu’avait l’indo-européen. Et celle de l’anglais en diffère plus encore. Les langues romanes, la plupart des langues germaniques, les langues iraniennes ne méritent plus vraiment aujourd’hui le nom de « flexionnelles ». Et même les langues indo-européennes les plus conservatrices ont un type tout autre que l’indo-européen commun. Les structures des langues indo-européennes actuellement parlées sont très différentes de la structure qu’avait l’indo-européen commun et de plus très différentes entre elles. Dès lors, ce n’est pas à la structure générale qu’on reconnaît une langue indo-européenne.

La langue « indo-européenne » commune procédait par suffixation, c’est-à-dire que les éléments grammaticaux affixés à la partie du mot exprimant le sens étaient toujours postposés. Ainsi en latin, où cet usage s’est bien maintenu, la marque -ēs du nominatif et de l’accusatif pluriel et la marque -um du génitif pluriel sont postposées à patr- : patr-ēs « les pères », patr-um « des pères ». En français, au contraire, il tend à se constituer des préfixes. Le latin distinguait amō, amās, amat par la fin du mot. Le français distingue j’aime, tu aimes (avec -s purement graphique), il aime, par les éléments je, tu, il que la grammaire traditionnelle qualifie de « pronoms », mais qui n’ont pas d’existence autonome et qui sont actuellement de purs signes grammaticaux préposés. À cet égard encore, le français procède autrement que ne faisait l’indo-européen.