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morphologie

mêmes, tandis que, dans d’autres langues, les rapports et les emplois sont marqués par des éléments additionnels, par des particules ou mots accessoires et par l’ordre des mots. Dans les premières langues, il y a, comme on dit, flexion. Cette distinction n’est du reste pas absolue, et il y a des mélanges des divers procédés à doses diverses.

Bien que l’usage fait de tel ou tel type se maintienne souvent très longtemps et laisse des traces alors même que le type tend à s’abolir dans l’ensemble, on ne peut guère faire usage de ces types généraux pour démontrer une « parenté de langues ». Car il arrive souvent que, avec le temps, le type tende à s’effacer plus ou moins complètement, ainsi qu’il ressort de l’histoire des langues indo-européennes.

L’indo-européen commun présentait de la manière la plus extrême le type qu’on nomme « flexionnel ». Tous les emplois des mots, tous les liens entre les mots se marquaient par des différences de la forme interne des mots. En sanskrit, où ce caractère de l’ « indo-européen commun » est particulièrement bien conservé, « je suis » se dit ásmi, « ils sont » se dit sánti, « il a été » se dit ā́sa, et ainsi de suite. Si le mot « père » est sujet, il est de la forme pitā́ ; s’il est complément direct, il est de la forme pitáram ; et, s’il est complément de nom, il est de la forme pitúḥ. Les différences sont profondes, on le voit, entre les formes d’un même mot ; et c’est au moyen de ces différences que s’indique tout le rôle des mots. Jusqu’à présent, les langues de la famille indo-européenne même les plus évoluées ont gardé quelque chose de ce type ancien ; en français, par exemple, le substantif est devenu invariable (l’-s du pluriel est purement graphique) ; mais le verbe comporte encore une forte part de flexion :