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les langues communes

péen était brisée, ont formé des nations du même type ayant aussi leur unité. Par exemple le groupe indo-iranien dont le nom indigène est ā̆rya-, s’est étendu largement sur l’Asie : on l’aperçoit au xiiie siècle en Cappadoce, et les Assyro-Babyloniens ont pris contact avec lui en Médie. La nation « aryenne » a poussé ses conquêtes très avant sur le plateau iranien, dans l’Inde, sur toute la rive méridionale de la mer Noire, et à l’Est jusqu’aux frontières de la Chine, où datant du début de l’ère chrétienne, il a été trouvé des textes sogdiens près de la grande muraille.

À se disperser ainsi et à porter des extrémités de l’Asie aux extrémités de l’Europe leur type d’organisation sociale avec leur langue, les peuples de langue indo-européenne ont perdu le sens de leur ancienne unité nationale et leur unité linguistique. Les nouveaux groupes qui se sont constitués sur chacun des domaines occupés ont perdu à leur tour leur unité. Le monde aryen, le monde germanique, le monde celtique se sont disloqués comme s’était disloqué le monde indo-européen. On est parvenu de cette manière au monde moderne où presque chaque pays a sa « langue commune », et où cette langue commune tend à effacer les parlers locaux. Il y a là un état de choses nouveau et qui n’est pas susceptible de durer à la longue : la multiplication des « langues communes » dans l’Europe d’aujourd’hui, en un temps où il y a au fond unité de civilisation matérielle et intellectuelle, est une anomalie.

Chacune des grandes « langues communes » du passé doit exprimer un type de civilisation. Et c’est pour cela que la plupart des langues du monde paraissent remonter à un nombre restreint de langues communes. Tant