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langues communes intermédiaires

restitution, une justesse. Ainsi la constance avec laquelle -m finale est notée dans l’orthographe latine classique ne donne pas une notion exacte de la réalité. Cette nasale finale se prononçait faiblement. Dans le latin le plus ancien, la graphie ne la note souvent pas. Pour les poètes, une -m finale n’empêche pas l’élision devant voyelle : en prosodie latine, -am de terram s’élide devant voyelle exactement comme -a de terra. L’absence de -m finale dans les langues romanes exprime la faiblesse de cette nasale en latin, faiblesse que la graphie classique du latin dissimule.

Du reste, pour qui se propose d’étudier les langues romanes, peu importent les traits du latin qui ont disparu sans retour. Ce qui pour lui est utile, ce sont les éléments qui ont servi à constituer les formes nouvelles prises par le latin. La restitution ne fournit pas le latin réel, tel qu’il se parlait ; et aucune restitution ne saurait fournir la « langue commune » telle qu’elle a été parlée. Ç’a été une hardiesse de génie, pour Schleicher, de « restituer » l’indo-européen à l’aide des langues de la famille historiquement attestées ; mais ç’a été, de sa part, une erreur grave que de composer un texte dans cette langue restituée. La comparaison apporte un système de rapprochements sur lequel on peut fonder l’histoire d’une famille de langues ; elle ne fournit pas une langue réelle, avec tous les moyens d’expression que comportait cette langue.


Entre la « langue commune » initiale restituée par comparaison et la langue attestée en fait, il peut s’intercaler une ou plusieurs « langues communes » intermédiaires. C’est ainsi que, entre l’indo-européen, d’une