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les langues communes

raît comme un reste de l’ancien accusatif quand on sait que l’accusatif latin était caractérisé par la désinence -m ; mais le romaniste qui utiliserait seulement la comparaison n’aurait aucun moyen d’y reconnaître un accusatif tel qu’était lat. rem. — La « restitution » fournit donc de la « langue commune » une idée incomplète, et sans doute très incomplète, le plus souvent.

C’est que les langues qui continuent une même « langue commune » n’en conservent pas seulement certains traits anciens. Longtemps, elles gardent une tendance à présenter des innovations ou identiques ou semblables, de telle sorte que certaines parties de la « langue commune » disparaissent partout sans laisser de traces, ou n’en laissent que d’impossibles à discerner si l’on ne connaît pas en fait la « langue commune ».

Dans toutes les langues romanes, la déclinaison des noms, qui était un élément si essentiel du latin ancien, s’est éliminée de bonne heure. L’élimination a eu lieu de manière indépendante dans chaque langue ; les parlers gallo-romans en portent témoignage puisque, après avoir conservé un reste de déclinaison sous forme d’opposition entre un cas sujet et un cas régime, ils ont à leur tour perdu dès la fin du xiiie siècle cette survivance.

Partout dans les langues romanes, la nasale finale de l’ancien accusatif s’est amuie : le français n’a pas trace de la nasale finale de terram ou de regem dans ses formes terre, roi. Cette nasale ne s’est maintenue que dans le monosyllabe accentué rem qui a abouti à fr. rien.

Mais, si des innovations parallèles, graves et nombreuses, empêchent la restitution des comparatistes d’être complète, à beaucoup près, il y a, au fond de la