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la restitution

de détail, mais un système linguistique d’un autre système. Sans doute il n’est pas toujours possible de restituer ainsi l’ensemble d’une langue par des procédés comparatifs ; on ne saurait même affirmer a priori qu’il faille, dans tous les cas, restituer une langue initiale unique — le problème des langues « mixtes » sera envisagé par la suite. Mais, là où elle aboutit pleinement, la comparaison aboutit à restituer une langue initiale.

Que vaut cette restitution ? Il n’est presque jamais possible de confronter la restitution avec une réalité connue. Mais il y a un cas où on le peut ; c’est celui des langues romanes. Or, la langue commune à laquelle on est conduit par la comparaison des langues romanes ne fournit pas — tant s’en faut — tout ce qu’était le latin au moment où se sont séparées les unes des autres les langues qui continuent le latin. Si l’on ne savait du latin que ce qu’enseignent les langues romanes, on ignorerait par exemple l’ancien futur du type amabo ou du type dicam, dices. Et surtout on n’aurait aucune idée de la déclinaison : jusqu’au xiiie siècle, les parlers gallo-romans distinguent, dans le masculin, un cas sujet d’un cas régime ; les autres parlers romans n’offrent même pas cette distinction. Le substantif roman est, à chaque nombre, invariable partout dès la fin du xiiie siècle. Or, à la date où s’est brisé l’Empire romain, la déclinaison subsistait et jouait encore un grand rôle. Si la comparaison fournit, à bien des égards, des données qui concordent avec la réalité attestée — ainsi pour la flexion verbale —, elle est donc loin de fournir le tout de la langue. — Certaines survivances, curieuses pour qui possède la forme ancienne, seraient inintelligibles pour le linguiste qui disposerait seulement de la comparaison : la nasale de fr. rien appa-