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définition de la méthode

boisson d’immortalité, on obtient des résultats tout autres. L’idée qu’il y aurait une boisson propre à conférer l’immortalité est trop naturelle pour être caractéristique. Mais, quand on rencontre, d’une manière plus ou moins complète, chez les divers peuples de langue indo-européenne, la légende d’une boisson d’immortalité fabriquée dans une cuve gigantesque, quand à cette légende se joint l’histoire d’une fausse fiancée, et le récit d’une lutte entre des dieux et des êtres démoniaques, il y a là un ensemble de faits singuliers qui n’ont pas en eux-mêmes de liens entre eux et dont la réunion ne saurait, par suite, être fortuite.

Si le sens à exprimer par la langue était lié par un lien naturel, lâche ou étroit, aux sons qui l’indiquent, c’est-à-dire si, par sa valeur propre, en dehors de la tradition, le signe linguistique évoquait en quelque manière une notion, le seul type de comparaison utilisable pour le linguiste serait le type général, et toute histoire des langues serait impossible.

Mais, en fait, le signe linguistique est arbitraire : il n’a de valeur qu’en vertu d’une tradition. Si l’on exprime en français l’unité par un, une, la dualité par deux, etc., ce n’est pas parce que les mots un, une — deux —, etc., ont par eux-mêmes un rapport quelconque avec l’unité, la dualité, etc., mais uniquement parce que tel est l’usage enseigné par ceux qui parlent à ceux qui apprennent à parler.

Seul, le caractère totalement arbitraire du signe rend possible la méthode comparative historique qui va être étudiée ici.

Soit les noms de nombre en français, en italien et en espagnol. On a une série :