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démonstrations certaines

que le mot erku « deux » de l’arménien est à rapprocher de grec dyo, dyō, latin duo, etc., comme on l’a vu p. 6, fournit un bon exemple du type de preuves qu’on peut employer. Au premier abord, le rapprochement surprend, et l’on hésite à l’accepter. En réalité, il est sûr, et l’on peut le montrer aisément.

Tout d’abord, la série des noms de nombre arméniens, de « un » à « dix », est indo-européenne. La forme erku de « deux » est la seule qui ne soit pas transparente du premier coup. Un emprunt, peu vraisemblable a priori pour un nom de nombre dans une ancienne langue indo-européenne où le vieux fonds de vocabulaire est si bien conservé dans l’ensemble, est d’autant moins admissible qu’aucune des langues connues près de l’arménien ne fournit une forme pareille pour « deux » et que par suite on ne voit pas ici comment l’arménien aurait pris erku au dehors.

En second lieu, les noms de nombre « trois » et « quatre », qui avaient en indo-européen la flexion du pluriel, ont en arménien au nominatif la forme du nominatif avec -k‘ final, tandis que, à partir de « cinq », qui est le premier des noms de nombre indo-européens non fléchis, il n’y a pas -k‘ : erek‘ « trois », č̣ork‘ « quatre », mais hing « cinq », vec̣ « six », etc. Or, le nom de nombre « deux » avait en indo-européen une flexion, qui naturellement était celle du duel. À l’époque historique, l’arménien n’avait plus le duel, et sans doute depuis longtemps ; la forme erku ne peut donc s’expliquer à date historique. Et il est remarquable que erku soit demeuré sans signe du pluriel, alors que la catégorie du duel était abolie en arménien. Cette survivance en arménien d’une trace du duel indo-européen est frap-