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les innovations spécifiques.

fois accompli, il y a eu dans la langue une l dans un mot de plus, mais non pas un type phonique de plus.

On observe fréquemment des faits de ce genre. À date relativement récente, le français a perdu l mouillée qui était un phonème fréquent ; ce n’a été qu’une simplification de l’articulation, et il n’est intervenu aucun grand fait qui ait pu provoquer une variation notable du système articulatoire. Aussi l’élimination de l mouillée n’a-t-elle pas eu pour conséquence de créer quelque phonème nouveau : l mouillée s’est simplifiée en y, c’est-à-dire en un phonème qui se trouvait couramment, dans miel et dans pied, dans yeux et dans dieux, etc. Après l’innovation, le français a eu beaucoup plus de y qu’il n’en avait précédemment ; mais le système phonique n’a pas été modifié.

Les anciens *sw- et *tw- ont abouti en arménien à k‘ (k dit aspiré). Ceci a supprimé des w consonnes ; mais le k‘ ainsi produit est identique à des k‘ d’autre origine qui existaient en arménien, dans des mots comme k‘an « que » ou lk‘anem « je laisse ».

En morphologie, le simple jeu de l’analogie ne fait qu’élargir l’emploi de catégories existantes sans en créer de nouvelles. Si en français dites, faites sont remplacés par disez, faisez, la langue n’a rien de nouveau ; car on dit lisez, taisez, etc. Si, en grec, on a fait hestēka en face de hestamen, avec -k- d’après ethēka, ethemen, ce n’a été que pour faciliter la formation du parfait ; on a beaucoup élargi l’emploi d’un procédé qui se trouvait à l’origine dans deux ou trois formes seulement ; mais il n’a été constitué ni un procédé nouveau ni une catégorie nouvelle.

Or, l’expérience montre qu’il se crée des procédés nou-