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FORMULES GÉNÉRALES DE CHANGEMENT.

naturels et les événements peuvent classer les notions en animées et inanimées et, dans l’animé, distinguer systématiquement ce qui est mâle ou assimilé au mâle de ce qui est femelle ou assimilé à une femelle. On conçoit alors comment l’arbre qui produit des fruits peut être nommé au féminin et le fruit au « neutre » (genre inanimé) ; mais pareille mentalité n’existait plus dans la Rome du ier siècle ap. J.-C., et une opposition comme celle entre pirus « poirier » (féminin) et pirum « poire » n’était plus qu’une survivance. Dans le français actuel, il serait très choquant de dire la ciel ou le terre ; mais personne ne saurait dire pourquoi, au point de vue d’un Français d’aujourd’hui ; ce n’est qu’en vertu d’une tradition séculaire que les substantifs s’opposent ainsi.

Telle catégorie qui a eu un sens fort et un large emploi tend à perdre de son sens et beaucoup de son usage. Dans le verbe latin, le « subjonctif » était une pièce essentielle, et le rôle du subjonctif domine la syntaxe latine. Mais le rôle du subjonctif n’a cessé de se restreindre depuis l’époque romane commune. Aujourd’hui, en français, le subjonctif sert de substitut à des formes manquantes de l’impératif : à côté de viens, venez, on a qu’il vienne, qu’ils viennent. Et il y a des tours de phrases où le subjonctif est encore de rigueur : je veux qu’il vienne, il faut qu’il vienne. Mais le français actuel n’a plus le sens de la valeur du subjonctif. De là vient que la langue populaire en restreint l’usage de plus en plus : le français littéraire a je doute qu’il vienne ; mais en français courant, on tend à dire : je doute s’il viendra. Un tour tel que : s’il fait cela et qu’il dise ce qu’il pense, il aura tort est maintenant archaïque.

Sous le bénéfice de cette réserve, la morphologie évolue