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pas suivi ; otk‘ ոտք répond à gr. πόδες (podes). De même, si duṙn դուռն « porte » est thème en -n-, c’est que duṙn դուռն repose sur un ancien accusatif *dhurn̥ ; mais ici le pluriel même a passé à la flexion en -n-, et les formes sans -n- ne sont conservées que partiellement ; toutefois l’adverbe durs դուրս « dehors » employé comme lat. forās, révèle l’ancienne forme, et d’ailleurs l’accusatif pluriel durs դուրս, le génitif-datif-ablatif drac̣ դրաց, l’instrumental drawk‘ դրաւք subsistent à côté de drunk‘ դրունք, dranc̣ դրանց. Dans plusieurs langues, le nom de la « porte » est un « plurale tantum » : lat. forēs, v. sl. dvĭri, etc. – Plusieurs autres thèmes en -n- s’expliquent sans doute comme otn ոտն, jeṙn ձեռն et duṙn' դուռն, mais ils n’ont pas conservé l’ancien pluriel sans -n-.

Il est possible que la nasale de akn ակն « œil » soit aussi celle d’un ancien accusatif singulier. Le pluriel ač̣k‘ աչք « yeux » génit. ač̣ac̣ աչաց, du même mot représente un ancien duel, cf. homér. ὄσσε (osse), v. sl. oši, lit. akì (v. § 23), auquel a été ajoutée la caractéristique du pluriel arménien -k‘ –ք. — Le mot unkn ունկն « oreille », évidemment inséparable de av. uši « les deux oreilles », gr. οὖς (ous), etc. mais de formation obscure, suit le modèle de akn ակն ; pluriel akanǰk, ականջք « oreilles » avec ǰ ջ après n, c’est-à-dire la sonore attendue après n en regard de č̣ չ (v. § 15). Il n’est pas impossible que cungk‘ ծունգք « genoux » à côté de cunr ծունր « genou » repose sur un duel *g´onwī, qui aurait aussi passé en arménien à la flexion du pluriel ; g գ représenterait alors w après n.

52. — Le caractère anomal de la flexion du nom de la « femme » en indo-européen a persisté en arménien ; l’alternance vocalique de *gwen- : gwon-, gwn-, attestée par l’irlandais : nom. ben « femme », génit. mnâ, et le contraste entre un thème simple et un thème élargi, attesté par gr. γυνή, γυναῖϰες (gunê, gunaikes), subsistent dans arm. nom.-acc. sing. kin կին « femme », cf. v. pruss. genna, v. sl. žena, et nom. plur. kanayk‘ կանայք, cf. gr. γυναῖϰες (gunaikes). L’instrumental kanamb կանամբ et le gén.-dat.-abl. pluriel kananc̣ կանանց rappellent les formes correspondantes de ayr այր « homme » : aramb արամբ, aranc̣ արանց, et en sont analogiques. Il reste le génitif-datif-locatif singulier knôǰ կնոջ, qui doit probablement son o et son ǰ à l’influence des thèmes en -o- (cf. § 39 fin).