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v. sl. berô : -borŭ apparaît en arménien dans berem բերեմ « je porte » d’une part et de l’autre dans -wor –ւոր des mots en -awor –աւոր tels que lusawor լուսաւոր « lumineux » (littéralement « qui porte la lumière » ) ; mais, au point de vue arménien, -awor –աւոր n’a rien à faire avec berem բերեմ ; un degré zéro de la même racine est peut-être conservé dans le mot également isolé bard բարդ « amas » (instr. bardiw բարդիւ, donc thème en -i-), qui, pour la forme, répond à skr. bhr̥tíḥ « action de porter », got. -baurþs, v. h. a. -burt. Les deux verbes k‘erem քերեմ et k‘orem քորեմ « je gratte » présentent une trace de l’alternance e:o. Le rapport de l’adjectif barjr բարձր « haut » avec le vocalisme zéro et du second terme de composé -berj –բերձ « hauteur », par exemple dans erkna-berj երկնաբերձ « qui a la hauteur du ciel » est identique à celui de skr. br̥hán « haut » et de dvi-bárhāḥ « qui a une double grandeur » (cf. le type gr. θρασύς : Ἱππο-θέρσης (thrasus : Hippo-thersês)), ici la parenté des deux mots ne pouvait pas ne pas être sentie en arménien, mais le cas est isolé. Enfin le nominatif singulier kin կին « femme » a le vocalisme e de v. pruss. genna, v. sl. žena, et le nominatif pluriel kanayk‘ կանայք « femmes » le vocalisme zéro de gr. γυναῖϰες (gunaikes), béotien βανῆϰες (banêkes) : conservation accidentelle des formes d’un mot anomal. Et, si les finales -san et -sun de k‘san քսան « vingt », cf. béotien Ϝίϰατι et eresun երեսուն « trente », cf. gr. τριάϰοντα (triakonta), représentent respectivement le nominatif-accusatif duel et le nominatif-accusatif pluriel d’un mot signifiant « dizaine » en indo-européen, cette valeur n’est plus apparente en arménien.

Les alternances des séries à voyelle longue du type ē (ā, ō), ō, ə ne sont plus conservées en arménien que dans un seul exemple : dans etu ետու « j’ai donné », cf. skr. ádām, gr. ἔδω-ϰα (edô-ka) ; turk‘ տուրք « don », cf. gr. δῶρον (dôron), v. sl. darŭ ; dans tam տամ « je donne » (d’un thème *də-ye-, cf. lat. dă-mus « nous donnons » ).

En résumé, si l’on excepte la flexion des thèmes en -n-, les alternances vocaliques de l’indo-européen n’ont pas laissé de traces dans la grammaire arménienne et n’apparaissent plus que dans des particularités isolées de vocabulaire, telles que celles signalées plus haut et peut-être quelques autres.

29. — En revanche, les alternances récentes qui résultent de l’action de l’accent arménien sont régulières et l’on observe dans