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ir- de v. pruss. irmo « bras », c’est-à-dire à i.-e. long, ou au ra- (issu 
de *arə-) de v. sl. ramo « épaule ». — Enfin r voyelle devant voyelle, 
qu’on peut noter °r, donne aussi arm. ar ար : gaṙink‘ գառինք
 « agneaux », cf. gr. ϝαρήν, skr. úraṇaḥ (de *w°ren-) ; le ռ est analogique de celui du nominatif gaṙn գառն « agneau » ; en effet, devant
 n, r second élément de diphtongue (ancienne ou récente) est rem
placé par r roulé : ռ, ainsi dans gaṙn գառն ; l’opposition est nette 
dans la flexion des mots qui ont en arménien une alternance vocalique, parce que l’action analogique ne s’y est pas produite : duṙnդուռն « porte », dran դրան « de la porte », durk‘ դուրք « les 
portes » ; on peut citer aussi le verbe anomal aṙnem առնեմ « je fais »,
 arari արարի « j’ai fait », et d’autres exemples.

I.-e. * donne arm. աղ : gałt գաղտ « en secret » cf. sans 
doute lit. -vilti « tromper » ; *°l donne al ալ : sal սալ « enclume », cf. 
skr. çilá « pierre ». — La différence de l լ et ł ղ tient à une innovation arménienne : l լ est la forme de l employée devant voyelle et ł ղ celle qui est employée devant consonne. La lettre ł ղ désigne une l vélaire, sans doute analogue à celle du français ancien, car c’est ղ qui, dans l’arménien de Cilicie, sert à rendre l vélaire française,
 sur le point alors de devenir u, ainsi ṙənałt Ռընաղտ Renault (Renaud) et, dans le glossaire latin-arménien antérieur au Xme 
siècle qu’a édité Carrière (Paris 1886), le ł arménien est noté l 
et aussi hl dans ahl « sel », c’est-à-dire al աղ ; au moment où a été
 constitué l’alphabet arménien, լ et ղ désignent également l, et c’est
 ղ (ł) qui occupe la place de λ grec et sert le plus souvent à le 
transcrire ; les deux phonèmes ont divergé : l լ est resté l, mais ł ղ 
est devenu une spirante gutturale sonore, c’est-à-dire la sonore de
 x խ. À date ancienne ł ղ a souvent été étendu par analogie ; ainsi 
c’est *kalin *կալին « gland » avec al de *°l qu’on devrait avoir 
en regard de gr. βάλανος, lit. gìlė, mais le ł ղ du génitif kałnoy
 կաղնոյ et du dérivé kałni կաղնի « chêne » a été étendu par ana
logie au nominatif d’où kałin կաղին. Le passage de l à l vélaire 
à la fin d’une syllabe et surtout devant consonne suivante est fré
quent ; on le retrouve notamment en latin et en vieux crétois. Le 
caractère vélaire de ł ղ n’a pas été sans conséquence pour le vocalisme ; devant ł ղ, i est remplacé quelquefois par e ե, ainsi asełn ասեղն « aiguille », génit. asłan ասղան (de *asiłan).