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Les formes s’expliquent aisément :

1ère pers. sing.-m répond à i.-e. *-mi du type athématique et est ancien dans em եմ « je suis », cf. skr. ásmi, gr. εἰμι (eimi), v. sl. jesmĭ, barnam բառնամ « j’enlève », cf. le type gr. δάμνᾱμι (damnami) ; lnum լնում « j’emplis », cf. le type gr. ζεύγνῡμι (zeugnumi). — La finale *-ô du type thématique devait tomber, et c’est *ber qui répondrait phonétiquement à gr. φέρω (pherô) lat. ferō, got. baira « je porte » ; l’extension de la voyelle thématique et de -m –մ dans berem բհրեմ « je porte » se justifie donc ; on observe des faits analogues en sanskrit dans bhárāmi, en irlandais dans berim, et dans des langues slaves (serbe berem).

2me pers. sing. — Comme -s- intervocalique tombe en arménien, un ancien *bheresi (skr. bhárasi) ne pouvait aboutir à beres բերես, la désinence -s –ս ne s’explique que dans une seule forme où la désinence *-si suivait -s- finale et où l’on avait ainsi -ss- : es ես « tu es », cf. homér. ἐσσι (essi) v. lat. ess (chez Plaute par exemple) ; d’ailleurs *essi s’est réduit à *esi dès l’indo-européen : skr. âsi, gr. εἶ (ei), et *essi résulte d’une restauration analogique dans les langues où apparaît cette forme. Quoi qu’il en soit, la désinence -s –ս est partout analogique de l’unique forme es ես « tu es ».

3me pers. sing. — Le *ti final, attesté par skr. -ti, vieux russe -ti, etc., est représenté par -y, d’où berē բերէ (de *berey) en regard de skr. bhárati, v. russe beretĭ, etc. La 3me personne ē է « il est » ne répond pas à skr. ásti, gr. ἔστι (esti), mais est analogique du type berē բերէ.

3me pers. plur.*-n –ն repose sur *-nti : en են « ils sont » répond à skr. sánti, gr. *ἐντι (*enti) (d’où ion. att. εἰσι (eisi)), got. sind ; baṙnan բառնան « ils enlèvent » au type dorien δάμναντι (damnanti) ; etc.

Le timbre o de la voyelle thématique de dorien φέροντι (pheronti), lat. ferunt, got. bairand « ils portent » n’est pas conservé ; e է a été généralisé par analogie des autres types, d’où beren բերեն, de même à la 1re personne du pluriel beremk‘ բերհմք « nous portons » en regard de dorien φέρομες (pheromes).

Pour ces quatre formes on pourrait également partir d’anciennes formes moyennes ; arm. -m peut répondre à gr. -μαι (-mai) aussi bien qu’à -μι (-mi), es ես « tu es » s’expliquerait par *essai aussi bien que par *essi ; etc.