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On est réduit à examiner les faits tels que les présente la langue dite classique, c’est-à-dire celle dans laquelle ont été écrites les traductions des livres saints que les documents historiques arméniens attribuent au Vme siècle après J.-C., et les œuvres originales composées dans le même idiome. Comme l’irlandais, le gotique et le slave, l’arménien n’est connu qu’à partir du moment où le christianisme s’est introduit, et ce sont les besoins de l’évangélisation qui l’ont fait fixer par écrit. Le cas de l’arménien diffère de celui de l’irlandais qu’aucun écrivain n’a fixé dès le début et pour lequel on n’a d’abord que des gloses servant à interpréter des textes latins. Comme le gotique et le slave, l’arménien a été dès l’abord fixé par un lettré qui a constitué une grammaire régulière et un vocabulaire permettant de traduire les textes sacrés du grec ou de rédiger des textes chrétiens pour les besoins des fidèles. Il y a donc eu dès l’abord une langue pourvue d’une grammaire exacte et d’un vocabulaire précis et notée par un alphabet bien adapté au phonétisme de la langue. Les particularités propres aux écrivains taxés de vulgarisme comme Lazare de P‘arpi sont surtout lexicales ; dans la mesure où elles sont grammaticales, il n’est nullement certain qu’elles soient attribuables aux auteurs, et il est au moins possible qu’elles proviennent d’innovations dues à des reviseurs et à des copistes, car les manuscrits de ces auteurs, assez rares d’ailleurs, datent tous du moyen âge. — Certaines traductions de textes philosophiques qui sont écrites d’une manière artificielle et qui sont presque partout un calque des originaux grecs ont aussi des particularités, dont les unes proviennent visiblement d’innovations qui s’expliquent en partant de l’état classique, ainsi les locatifs en -um —ում et en -oǰ —ոջ de substantifs quelconques (voir §§ 31 et 58), et dont les autres sont de purs faits de vocabulaire.

La seule langue que la grammaire comparée indo-européenne ait à considérer est donc la langue classique, le grabar գրաբար (langue écrite), et c’est aussi la seule dont il sera question ici : quelques indications données sur les parlers modernes ont seulement pour objet de marquer en quel sens l’arménien a tendu à se développer et à se modifier.

En l’absence de différences dialectales anciennes, on ne saurait déterminer quelle est la région où a été fixé l’arménien classique.