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β) Présent à nasale.

76. — Les verbes à nasale de ce type sont primaires et ont l’aoriste sans ç ց. Beaucoup d’entre eux tiennent la place de formes indo-européennes à nasale infixée ; la transformation est parallèle à celle qu’on observe en slave où les verbes à suffixe -ne- comme v. sl. bŭnõ « je m’éveillerai » tiennent la place de verbes à infixe comme lit. bundù « je m’éveille ». Exemples :

lk’anem լքանեմ « je laisse » (aoriste lk‘i լքի), cf. skr. riṇákti « il laisse », lat. linquō, līquī, v. pruss. -līnka « il reste » ;

awcanem աւծանեմ « j’oins » (awci աւծի), cf. skr. anâkti « il oint », lat. ungō (ici la nasale appartient à la racine, mais a été prise pour un élément de formation) ;

bekanem բեկանեմ « je brise » (beki բեկի), cf. skr. bhanákti il brise », v. irl. com-boing « il brise » ;

bucanem բուծանեմ « je nourris » (buci բուծի), cf. skr. bhuṅkte « il jouit de », et peut-être lat. fungor ;

gtanem գտանեմ « je trouve » (gti գտի, 3me pers. egit եգիտ), cf. av. vīnasti « il trouve », skr. vindati (aor. ávidât) ;

dizanem գիզանեմ « j’amasse » (dizi գէզէ), cf. lat. fingō, gr. θιγγάνω (avec γ au lieu du χ de τεῖχος (teichos)).

lizanem լիզանեմ « je lèche » (lizi լիզի), cf. lat. lingō ; dans gr. λιχνεύω (lichneuô) un suffixe a été substitué aussi à l’ancien infixe ;

anicanem անիծանեմ « je maudis » (anici անիծի, cf. skr. nindáti « il outrage » (et gr. ὄνειδος (oneidos)). Il reste à expliquer comment c ծ a remplacé le t տ attendu ; on a vu la substitution inverse de t տ à c ծ dans art արտ « champ », cf. gr. ἀγρός (agros), § 71 ;

hasanem հասանեմ « j’arrive, j’atteins » (hasi հաի), cf. skr. açnóti « il atteint », à côté de nâçati, lat. nanciscor.

D’après les exemples précités et quelques autres pareils, il a été formé sur des aoristes primaires ou d’aspect primaire beaucoup d’autres verbes de même forme.

La chose est évidente dans le cas suivant. De même que le thème de présent *bhere- fournit un présent berem բերեմ « je porte » issu du présent et un aoriste beri բերի « j’ai porté » issu de l’imparfait (eber եբեր « il a porté » = skr. ábharat, gr. ἕφερε (hephere)), on attend, en regard d’un thème *pr̥k-ske- de présent à suffixe *-ske-, un