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ACTE PREMIER.

BARBE-BLEUE.

Penses-tu qu’à mon âge je veuille vivre sans une petite femme ?

POPOLANI.

Horrible ! horrible ! très horrible !…

BARBE-BLEUE.

Tu frémis !… Cette idée de noces nouvelles, qui me fait sourire, moi, te fait frissonner, toi.

POPOLANI.

Et ça se comprend, car c’est moi qui…

BARBE-BLEUE.

N’achève pas !… Après que mon amour les a tenues éveillées pendant quelque temps, c’est toi qui te charges de procurer à mes épouses un sommeil bienfaisant qui ne finit jamais, ô terrible alchimiste !

POPOLANI.

Est-ce que vous ne rougissez pas ?…

BARBE-BLEUE.

Non, je ne rougis pas, et je t’avouerai même que je trouve qu’il y a dans mon caractère quelque chose de poétique !… Je n’aime pas une femme, j’aime toutes les femmes… c’est gentil, ça !… En m’attachant exclusivement à une d’elles, je croirais faire injure aux autres… Ajoute à cela des scrupules qui ne me permettent pas de croire qu’il soit permis de prendre une femme autrement qu’en légitime mariage : tout te paraîtra clair dans ma conduite ; tu m’auras tout entier.

POPOLANI.

Enfin !… Et me permettrez-vous de vous demander qui est cette nouvelle épouse ?

BARBE-BLEUE.

Qui peut savoir ?… Ne le sais moi-même. Tu as exécuté mes ordres ?