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se récrier : quelqu’un prononce même le mot de sacrilège : la plupart profitent de la circonstance pour flétrir, en général, la manie qui se répand trop aujourd’hui, de traduire en langue vulgaire ce que nos pères savouraient, dit-on, dans le texte original. Notre défenseur n’essaie pas d’arrêter directement cette explosion de plaintes, si justes à certains égards. Il s’adresse successivement à chacun de ses collègues et en obtient les réponses qu’il désire : « Voyons, dit-il, soyons de bonne foi, confessons la vérité. Vous, monsieur le curé de X***, faites-vous une lecture bien assidue de saint Jean Chrysostome en grec ? — J’avoue que je ne le lis pas. — Et vous, monsieur le curé de X*** ? — Ni moi non plus. — Et vous ? — Ni moi. » Tous, sans exception, firent l’aveu. « Maintenant, reprit-il, veuillez répondre avec la même franchise à une autre question. Vous lisez volontiers, j’en suis sûr, surtout lorsque c’est nécessaire, et que le français vous manque, quelques pages de saint Jean Chrysostome en latin. Mais où est celui qui en lise d’un bout à l’autre, et d’une haleine, des traités entiers, comme s’il s’agissait de Fénelon ou de Bossuet ?  » La réponse fut unanime : c’est que, si saint Jean Chrysostome n’est presque pas lu en grec, il ne l’est guère plus en latin, et qu’il le serait universellement en français. Je crois que c’est là l’expression de l’opinion, ou mieux du besoin public, et c’est lui qui me guide. Il serait à désirer que tout le monde pût jouir de saint Jean Chrysostome en sa langue originale : car là seulement il s’offre à nous avec tous ses charmes ; est-il rien de plus naturel, de plus pur, de plus harmonieux que la langue d’Isocrate, résonnant dans la bouche d’or ! quelle magnifique éloquence, quels sons vivants, lorsque le souffle chrétien, souffle céleste, anime le plus suave de tous les idiomes, de tous les instruments de la pensée le plus mélodieux à l’oreille humaine.

Mais saint Jean Chrysostome perd-il toutes ses beautés pour nous, lorsqu’on le fait sortir de cette langue étrangère et généralement ignorée ? Ceux qui ne peuvent trouver dans le grec ces trésors de doctrine et d’éloquence, en seront-ils privés ? Ecoulez saint Thomas d’Aquin, sa réponse vaudra mieux que la mienne. Quoiqu’il n’eût qu’une mauvaise traduction latine des commentaires de saint Jean Chrysostome sur saint Matthieu, il dit pourtant qu’il ne l’eût pas échangée contre la ville de Paris. Or, dès que vous en êtes réduits à des traductions, pourquoi préférer la traduction latine ? Le latin n’est pas plus de saint Jean Chrysostome que le français ; s’il offre plus de