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contre les Juifs se reflète dans la base psychologique du système de Marcion. Une opposition si radicale au judaïsme n’est point née des spéculations d’un rêveur dans un cabinet d’étude. N’aurions-nous pour nous que le témoignage de l’hérésie de Marcion, il suffirait à nous prouver l’impopularité des Juifs du Pont, dont les sourdes menées blessaient au plus haut point tous ceux qui vivaient auprès d’eux. Ce fait irréfutable nous fait comprendre la position des chrétiens en face de l’agitation juive, et les pièges qu’on leur tendait. Le judaïsme cherchait là, plus qu’ailleurs, à absorber le christianisme. Ne peut-on pas supposer que la grande chute dont parle saint Jean dans sa première lettre (II, 18) se rapportait aux apostasies fomentées au milieu de leurs compatriotes par des Juifs du Pont ? Ils remuaient une corde toujours sensible du cœur humain, à savoir la haine contre les oppresseurs de la nationalité. IL est à croire que beaucoup de chrétiens, juifs de nation, placèrent leur religion au-dessous du sentiment national, et qu’ils se tournèrent du côté de ceux qui donnaient satisfaction à leurs passions politiques. Les chefs des Ebionites et des Docètes inventèrent des systèmes à l’usage des transfuges qui passaient du christianisme au judaïsme. C’était une conciliation hypocrite qui, tout en niant la divinité de la personne de Jésus-Christ, faisait néanmoins des concessions importantes au sentiment chrétien. Cérinthe était l’un des hérésiarques de ce genre. Il était juif ; son système était conçu de manière à ne pas blesser les dogmes du rabbinisme. Les docteurs juifs admettaient à cette époque que le monde avait été créé par une puissance subalterne : A virtute quadam valde separata et distante ab ea principalitate quœ est super universa (Iren., lib. I, cap. XXVI, 1). Ou trouve dans le Talmud des traces de cette croyance [1]. Voici comment et en quel point Cérinthe différait des rabbins de son temps. Non-seulement il plaçait le Christ au-dessus de tous les autres hommes, à cause de sa sagesse et de sa vertu, mais encore il lui reconnaissait le don des

  1. Graetz, Gnosticismus and Judentham, p. 43.