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Je m’arrête, Messieurs ; je craindrais, en prolongeant ma réponse aux objections dirigées contre l’évangile saint Jean, de franchir les limites que m’impose une discussion

    d’hui. A ce nouveau langage on peut reconnaître tout le progrès que le christianisme catholique avait fait au milieu des nations.... On a beaucoup exagéré la différence du langage de Jean comparé à celui des synoptiques ; toutefois nous ne pouvons méconnaître que l’Apôtre place dans le cours de son récit des expressions, des images qu’on ne trouve guère que dans son évangile. Cette différence apparaît surtout lorsque l’on compare les paroles du Christ telles qu’elles sont rapportées dans les synoptiques avec les discours relatés dans saint Jean. Bien que les pensées soient les mêmes et reproduisent un même esprit, dans son unité et dans sa vérité, on y sent des différences. Cela ne doit point étonner. Comment celui-là qui avait saisi avec tant de perspicacité et de divination les moindres circonstances de la vie de son Maître avec lequel il avait eu des rapports plus intimes et plus tendres qu’aucun des douze, n’aurait-il pas gardé avec plus de soin et plus d’amour ses paroles, et n’aurait-il pas eu la volonté, puisqu’il en avait le pouvoir, de les reproduire avec toute leur couleur et leur sentiment ? Comment, puisqu’il se rendait un compte si parfait de la différence des temps et des développements successifs de la doctrine chrétienne, ne se serait-il pas appliqué à rechercher dans les paroles de son Maître, ce qui expliquait ces changements et ces développements ?

    « Qu’importerait d’ailleurs, que Jean se fût quelquefois appliqué à reproduire plutôt l'esprit de son Maître que la lettre même de ses discours ? Ni Jean, ni aucun des douze, ne s’était appliqué, autant que nous pouvons le savoir, à retenir chacun des mots, des sentences du Christ pendant qu’il vivait. Après tant d’années écoulées, le vieillard pouvait-il faire revivre toute la suite des paroles du Christ sans changer aucune expression ? Dans beaucoup d’endroits certes, le mot est du Christ et ne peut venir que de lui, mais est-il nécessaire qu’il en soit ainsi partout ? Jean s’est efforcé de reproduire généralement la couleur des discours du Christ, et cette vérité générale suffit. Il était reçu à l’époque qu’un historien refaisait les discours des personnages dont il décrivait la vie ; on ne lui demandait autre chose que de se placer dans la vérité de la situation. Il ne faut point croire que l’Apôtre ait usé de pareils procédés, il avait entendu de ses oreilles les paroles du précurseur et celles du Christ ; elles restaient profondément gravées dans son souvenir. Les mots sacrés dont il s’était servi vivaient dans sa mémoire, gardant leur physionomie et leur couleur. De plus, Jean était aidé par la lecture des synoptiques. Ne lui était-il pas facile alors de vivifier d’autres souvenirs qui n’avaient plus la même fraîcheur ? Pourquoi s’inquiéter d’un ou deux mots particuliers à saint Jean, lorsque lui-même n’a point procédé avec une rigueur qui eût été inutile au but qu’il se proposait ? Quelle que soit la manière dont saint Jean a composé ses discours, il est certain que sans lui nous ne connaîtrions point entièrement la manière et le genre des discours du Christ. Sans doute les synoptiques laissent apercevoir le merveilleux élan, la force, la vivacité, la plénitude de la parole de Jésus, mais c’est le vieillard de Pathmos qui l’a conservée dans son expression la plus élevée et la plus vraie. »