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« civilisateurs » russes et chinois ses forêts séculaires, plusieurs de ses vallées latérales pourraient être le paradis des chasseurs et des pêcheurs, voire des agriculteurs exploitant les richesses du sol par petits groupes, chacun pour soi et pour sa famille. Le Yenissei, dans la partie supérieure de son cours, nous présente, comme l’Amour et son puissant affluent, le Soungari, l’intéressant spectacle de milieux peut-être trop favorisés à certains égards et qui, par cela même, offrent un mauvais terrain à l’histoire : ils permettent, en effet, à leurs occupants de s’attarder aux étapes inférieures, à la vie de trappeurs ou défricheurs de terres vierges. Récompensant largement le travailleur isolé, ils le dispensent de recourir à une coordination plus complexe des efforts individuels, à une forme plus haute de cette solidarité qui est la condition nécessaire de l’histoire.

Ces fleuves historiques, les grands éducateurs de l’humanité, ne se distinguent pas non plus des autres par le volume de leurs eaux : le Nil en roule trois fois moins que le Danube. Mais tous, sans une seule exception, présentent une particularité remarquable qui nous livre le secret de leurs glorieuses destinées : tous ils convertissent le pays qu’ils arrosent, tantôt en un grenier d’abondance où des millions d’hommes se procurent, par un labeur de quelques jours, leur subsistance annuelle, tantôt en charniers pestilentiels jonchés des cadavres de victimes sans nombre emportées par les