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une aventure en tunisie


toi je l’aurais écrasé comme la figue sous le pressoir ! Ta voix est plus douce que la flûte, tes yeux brillent comme le soleil, tu as la taille de Schéhérazàde ; c’est à toi seule que je fais le sacrifice de ma vengeance. »

J’avais lâché le collet du pauvre vékil, que je tenais depuis cinq minutes ; le bonhomme respira bruyamment, mais sans oser remuer. Sa femme me demanda d’une voix assez douce :

« Qui es-tu ?

— Je suis Nemsi, un étranger dont la patrie s’étend là-bas, bien loin, au delà de la mer.

— Vos femmes sont-elles belles ?

— Oui, certes, mais je ne les compare point à celles du chott El Kébir ! »

Madame la vékil fit un signe de tête et sourit ; je m’insinuais tout à fait dans ses bonnes grâces.

« Les Nemsi sont des gens très sensés, très braves et très polis, dit-elle, je l’ai déjà entendu raconter. Sois donc le bienvenu ! Mais pourquoi as-tu fait lier cet homme ? pourquoi nos soldats sont-ils en fuite ? pourquoi menaces-tu le puissant vékil du sultan ?

— J’ai fait lier cet homme parce que c’est un assassin ; tes soldats fuient devant moi parce qu’ils savent que je puis les vaincre tous ; j’ai menacé ton mari parce qu’il voulait me faire donner la bastonnade et fusiller sans justice ni raison.

— On te fera justice ! »

Je vis bien que la femme possède en Orient un pouvoir tout aussi merveilleux qu’en Occident. Le vékil ne voulut pas cependant avoir l’air d’abdiquer devant sa compagne ; il reprit :

« Je suis un juge intègre, je…

— Écoute, interrompit la rose de l’oasis en s’adressant à son époux, je connais cette créature qui se nomme Abou el Nasr ; on devrait plutôt l’appeler Abou el Yalani (le père du mensonge). Il est cause qu’on t’a renvoyé d’Alger quand tu allais être moulassin ; il est cause que de Tunis on t’a fait venir ici, pour t’enterrer dans ce désert ; toutes les fois qu’il s’est rencontré sur ton chemin, il t’a nui traîtreusement. Je le hais, oui, je le hais, et ne vois rien à redire si cet étranger le traite comme un chien : il le mérite !

— On ne peut le toucher, il a l’ombre du sultan !