— Il sert un infidèle, sa parole ne compte pas davantage… Je vais assembler le conseil de l’oasis, il décidera après avoir examiné la cause.
— Ecoute, vékil ! tu refuses de me croire parce que je suis un infidèle et tu donnes ta confiance à un autre infidèle : cet homme est un Arménien.
— Il a juré par la barbe du Prophète.
— C’est une fausseté et un péché pour lequel Dieu le punira… Si tu ne me rends pas justice, je dirai tout ce que je sais devant le conseil.
— Un giaour ne peut accuser un musulman. D’ailleurs le conseil ne condamnera point mon ami, car il possède un bouyouroultou et marche à l’ombre du sultan.
— Moi aussi je marche à l’ombre de mon roi ; tu as mon bouyouroultou dans ta poche.
— Il est tracé en caractères païens, je me souillerais si je le lisais. Ta cause sera discutée tout à l’heure, mais auparavant tu vas recevoir cinquante coups de bastonnade, ton serviteur soixante et ton guide vingt. Soldats, conduisez-les dans la cour ! »
En un instant mes deux compagnons et moi nous fûmes entraînés avec violence hors de la pièce. Dans le milieu de la cour, je remarquai une sorte de banc peu engageant, qui servait à la bastonnade et en gardait des traces. Halef et le guide s’étaient laissé faire sans résistance, ils n’attendaient qu’un signe de moi pour se défendre. On nous conduisit devant le banc de torture ; au bout d’un instant apparut le vékil, suivi d’Abou el Nasr. Un esclave noir étendit un tapis dans un coin de la cour, puis prépara les pipes. Lorsque les deux compères se furent commodément installés, le vékil, me désignant du doigt, dit avec un grand calme :
« Cinquante coups ! »
Il était temps d’agir ; je me retournai vers le petit despote et lui demandai :
« As-tu encore mon bouyouroultou dans ta poche ?
— Oui.
— Rends-le-moi !
— Jamais.
— Pourquoi ?