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UNE AVENTURE EN TUNISIE

Une autre balle avait-elle effleuré mon petit cheval berbère, ou le bruit de la détonation l’effrayait-il ? Je ne sais, mais la malheureuse bête frissonnait et tremblait de tous ses membres ; ramassée sur elle-même, elle perdit bientôt l’équilibre de ses pieds de derrière et s’abattit.

« Sidi ! » cria Halef dans une inexprimable angoisse.

C’en était fait de moi… Le danger me donna une énergie et une présence d’esprit qui m’étonnent encore. Tandis que la bête, se sentant enfoncer, essayait en vain de se retenir par devant, j’appuyai les deux mains sur le pommeau de la selle, et, soulevant les jambes en l’air, je fis volte-face par-dessus la tête du pauvre animal, que je poussais ainsi malgré moi, et qui disparut presque instantanément.

Dans cette évolution périlleuse, je me souviens d’avoir adressé au ciel la plus fervente de mes prières. Il ne faut pas beaucoup de mois ni beaucoup de temps pour crier à Dieu de tout son cœur ; quand on se sent entre la vie et la mort, la prière est un élan si rapide !

Je me trouvai sur un point ferme d’abord, mais qui ne tarda guère à fléchir sous mon poids. J’enfonçais et me mis à lutter avec les pieds comme un désespéré ; je me soulevais, puis je retombais plus profondément, me soulevant de nouveau, trébuchant encore, perdant pied tout à fait. Je finis cependant par rencontrer un endroit solide, mais dans mes efforts je me sentis glisser en avant ; un rien, et j’étais englouti pour toujours ! C’était un supplice inénarrable ; je ne voyais ni n’entendais plus… Je me trompe, j’entrevoyais avec terreur l’ombre de trois hommes, debout derrière les vagues salées, et il me semblait que deux d’entre eux me menaçaient de leurs armes.

Je ne saurais dire comment je repris pied sur une place assez solide et longue de quelques mètres. Deux coups de feu retentirent. Dieu voulait me conserver la vie, car je venais de heurter contre un amas de sel et j’étais presque tombé en me courbant ; les balles sifflèrent au-dessus de ma tête. Je portais encore mon fusil sur mon dos ; c’était merveille de ne l’avoir pas perdu, mais je n’eus pas le temps d’y songer. Je m’avançais vers les scélérats en brandissant le poing. Ils ne m’attendirent pas ; leur guide s’enfuyait, et ils savaient que sans lui ils étaient perdus. Le vieux le suivit immédiatement, le plus jeune restait un peu en arrière ;