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UNE AVENTURE EN TUNISIE

Je savais patiner sur la glace ; mais cette croûte de sel, d’une couleur étrange, je n’en avais jamais fait l’épreuve ; le son produit par mes pas était tout nouveau à mon oreille ; cette cristallisation m’étonnait. Tout cela me paraissait bizarre, inconnu, incertain ! Je tâtonnais d’abord à chaque pas, essayant de pie rassurer par des remarques, des expériences, des déductions sur la solidité de cette croûte saline. À quelques endroits je la trouvais dure et unie, au point qu’on eût pu s’avancer par glissades ; un peu plus loin elle présentait l’aspect sale et jaunâtre de la neige foulée, et j’enfonçais jusqu’aux genoux.

Fatigué de cette marche pénible, je pris le parti d’enfourcher mon petit cheval, m’abandonnant entièrement à l’instinct de la bête et à l’expérience du guide. Il était évident que l’animal avait fait plus d’une fois ce chemin périlleux ; il trottait allègrement là où le chott présentait une surface solide ; dès que la place lui paraissait peu sûre, il savait se diriger avec adresse et passait sans broncher sur des lignes si étroites, que des piétons eussent pu difficilement s’y maintenir. Ses oreilles se dressaient, allaient en avant, en arriére ; il hennissait, semblait réfléchir, poussait même la précaution jusqu’à éprouver le sol avec son sabot avant de poser les pieds.

Notre guide marchait le premier ; je suivais ; Halef venait après moi. Nous ne parlions guère ; toute notre attention se concentrait sur notre marche.

Trois heures s’étaient déjà écoulées lorsque, se tournant vers moi, Sadek me dit :

« Prends garde ! Sidi, voici le plus mauvais endroit de toute la route !

— Pourquoi ?

— Le chemin se trouve au milieu d’une eau profonde ; il est parfois si étroit, qu’on le couvrirait avec les deux mains.

— Mais est-il solide ?

— Je ne sais trop ; l’épaisseur de la croûte varie si souvent !

— Je vais descendre de cheval pour alléger le poids.

— Sidi ! ne fais pas cela ; le pied de ta monture est plus sûr que le tien ! »

Je dus obéir, dans un tel lieu le guide était le maître. Allons, pensais-je, ce ne sera pas long…; mais je frissonnais malgré