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une bataille au désert

Le jeune homme, se tournant vers moi, me demanda d’un air furieux :

« Que me veulent-ils, Emir ? Parle-leur !

— Tu vas nous suivre.

— Je ne suis pas prisonnier ! je… »

Une femme intervint alors en criant :

« Allah kérim ! Émir, que veux-tu faire de mon fils ?

— Je veux l’emmener, comme tu le vois.

— Lui ! la lumière de mes yeux ! le soutien de ma vieillesse ! le plus hardi de tous nos jeunes hommes ! Que t’a-t-il fait ? Pourquoi le lier comme un meurtrier ? Rends-le-moi !

— Vite, sir Lindsay, attachez-le à votre cheval et partons ! »

Je donnai le signai, tout s’ébranla pour sortir du camp. Je devenais impitoyable. En arrivant chez ces malheureux vaincus, je m’étais attendri sur leur sort ; mais tout ce que j’avais vu parmi eux, et les horreurs de l’île qui leur servait de repaire, changeaient entièrement ma façon de penser ; ce fut sans remords, presque sans compassion que je m’éloignai, poursuivi par les cris de douleur et de rage qui retentirent longtemps derrière nous. Il me semblait quitter une caverne de brigands.

Halef, avec les trois chameaux mystérieusement chargés, se tenait en tête de la marche ; j’allai le rejoindre.

« Sont-ils bien installés ? lui demandai-je.

— Comme sur le divan du padischah, Sidi !

— Ont-ils pu manger ?

— Non ; ils ont seulement bu un peu de lait.

— La parole leur est-elle revenue ?

— Ils n’ont prononcé que quelques mots, dans une langue que je ne connais point.

— Cela doit être du kourde.

— Le crois-tu, Sidi ?

— Oui ; j’imagine que ce sont des adorateurs du diable.

— Des adorateurs du diable ! Allah il allah ! que Dieu nous protège du diable trois fois lapidé ! Comment peut-on adorer le diable, Sidi ?

— Ils ne l’adorent point, quoiqu’on leur ait donné ce nom injurieux ; ce sont de braves gens, travailleurs et probes, moitié chrétiens, moitié musulmans.